Nous reprendrons la Plaine
Ou comment la transition énergétique détruit la planète !
Par ce matin d’automne, le brouillard qui s’est levé sur la Plaine n’avait rien de son allure habituelle. Le mardi 8 octobre, à coups de matraques, de blindés et de lacrymos, l’Amassada fût contrainte à l’exil. Les pelleteuses ont fait ensuite leur sale boulot de destruction. Mercredi il ne restait plus qu’une ruche et les fondations en pierre du dortoir. Signe qu’il y avait des imprévus dans le process de recyclage. Car en effet, le fait majeur de l’opération ce ne sont pas les 23 camions de Gardes Mobiles, les deux blindés, les drônes et les spots surpuissant, tout cet attirail du maintien de l’ordre et du « respect de l’état de droit » devenu si banal. Le fait majeur de cette journée c’est la volonté de propreté de l’opération. La destruction des maisons, des halles, de la phyto-épuration, du potager, de la serre, transformée en opération de tri sélectif par une entreprise habilitée fait écho à la méthode d’expulsion physique des occupants. Expulsion qui a eu lieu avec un usage mesuré de la force souligné dans les tweets de la préfète De la Robertie, mais avec des moyens disproportionnés. Les occupants des toitures ont été, comble du comble, non pas expulsés mais « secourus » par le GPII comme des skieurs imprudents. Les quatres gardes à vue de la journée ont donné lieu à un simple rappel à la loi. Les milliers d’insultes proférées aux forces de l’ordre depuis les toits, pendant des heures, n’ont pas débouché sur le moindre outrage. Bref tout dans le comportement des forces de l’ordre, et surtout dans les déclarations de la préfète, montrait une volonté de lissage de la situation, de pacification. Cette journée fut avant tout, pour la préfecture, une opération d’éco-destruction « réussie ».
Mais, samedi, nous revenions une nouvelle fois à la charge du fortin et de ses grillages (un premier assaut avait été tenté dès l’après-midi du mardi). Car la destruction de l’Amassada n’est pas la fin de la lutte, seulement un nouveau tournant. Et ce coup-ci c’est bien avec des gazeuses manuelles que nous fûmes accueillis au contact des uniformes qui avaient détallés devant notre détermination tout en chansons. Les deux heures durant lesquelles nous avons harcelé les grilles se sont soldées par 4 arrestations dont l’issue, après 40 heures de garde à vue, est le contrôle judiciaire avec interdiction de Saint-Victor et une liste immense de chefs d’inculpation (procès annoncé pour le 11 mars).
Depuis cinq ans nous tenons le projet de transformateur Sud-Aveyron en échec, pièce maîtresse de l’interconnection des réseaux et de la politique de transition. Et ce temps de la lutte a permis de rendre évident quel système de pouvoir rendait ce projet nécessaire, il a permis de sortir la lutte anti-éolienne de son caractère trop souvent local et de défense patrimoniale. Il y a cinq ans, il était encore difficile d’expliquer le fond du problème. Nous avons déjà gagné cette lutte car elle coïncide maintenant avec son moment politique. Ce qui va rendre dingue Mme de la Robertie c’est que tout le monde est en train de comprendre que :
1. Dans son effondrement le système industriel a un besoin toujours plus compulsif d’énergies pour maintenir sa domination, tant dans la production effrénée de marchandises, avec des process de plus en plus automatisés, que pour créer des dispositifs de contrôle et d’informations. Ce besoin exponentiel d’énergie c’est l’organe reproducteur de l’industrialisation du monde. Il est à nu.
2. L’illusion des énergies renouvelables a été créée pour additionner de l’énergie électrique à l’économie fossile. Mais cette électricité est elle même fossile, son carburant principal n’est ni le vent, ni le soleil, c’est l’ensemble des minerais nécessaire à la construction des infrastructures1. Le monde industriel est indivisible en technologies propres ou sales, il est uniformément extractiviste, il dévore les sols de la planète. Rien que pour le trou du transfo : « Le volume des déblais à évacuer d’environ 110000 à 160000 m3, soit 60 à 110 semi-remorques tous les jours pendant 6 mois, soit 18300 à 26650 aller-retour de camions »2. Notre imagination est malheureusement bien peu armée pour mesurer ce qu’il faudra en retour de minerais du monde entier, pour faire de ce trou un transformateur3.
3. La propagande de cette transition industrielle tourne autour d’un levier majeur, celui de la compensation carbone. Journalistes et politiciens nous en tartine des couches tous les jours. Pour sauver la planète du réchauffement climatique, il faut compenser les émission de GES, et le moyen privilégier de cette compensation ce sont les énergies propres. La cause de cette profusion médiatique relève sûrement de l’incompréhension de ses acteurs . Il est évident que pour la plupart ils ne comprennent pas ce qu’ils disent, ils ne font que répéter le crédo. C’est le vieux symptôme du catéchisme. Il arrive souvent que même le mouvement climat, qui attaque l’État pour inaction climatique, ne voit pas encore ce détail simple de la propagande : la compensation carbone est tout simplement une imposture scientifique. Expliquons : le réchauffement climatique en cours est un immense incendie alimenté mondialement. Une métaphore s’impose. Prenons celle du feu de cheminée pour figurer le réchauffement. Devant ce feu il y a deux pompiers, le premier a pour fonction de jeter dans le brasier autant de seaux d’eau que de bûches, le second a en main un cahier sur lequel il fait des croix dans les colonnes EAU et BÛCHE. Voilà comment dans la logique technocratique on prétend éteindre un feu. On continue à émettre des gaz nocifs tout en prétendant créer des activités non émettrices de CO2. On en fait ensuite la balance dans une logique toute comptable. Balance qui est elle-même fausse puisque les seaux d’eau n’existent pas ! La civilisation occidentale est une immense entreprise de déréalisation du monde, face à un feu, rien ne sert d’inventer une ligne de compte « crédit carbone », sauf si l’on veut rationnellement l’empirer. Face à un feu il faut s’organiser collectivement pour stopper son apport en carburant!
4. Toutes les politiques environnementales sont des politiques pour sauver les pollueurs. Devant ce fait dont l’actualité est remplie, les responsables n’ont toujours qu’un seul mot : les procédures ont été respectées, force doit rester à la loi.4
Nous continuerons à nous battre, le Sud-Aveyron dut-il en être complètement militarisé. La compensation carbone est le plus grand scandale que l’industrie ait jamais planifié pour perdurer. Tous les responsables de cette politique sont des criminels climatiques et ce mot est bien faible. Laisser le transfo se construire n’est pas une option. Les chiffres sont clairs, la Région veut quintupler le nombre d’éoliennes en Occitanie pour atteindre ses objectifs de « Région à Energie positive ». Quintupler, soit rayer de la carte des paysages entiers. Le transfo Sud Aveyron est le moyen de cette multiplication. Alors oui Madame de La Robertie, vous pouvez bien nous menacer de 7 ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende, c’est de nos vies dont il s’agit, et nous les défendrons. Nous reprendrons la Plaine le premier novembre (week-end de résistance 1/2/3 novembre). Nous allons faire du chantier transfo Sud-Aveyron le premier cauchemar de la transition énergétique ! Venez nombreux !
(Infos douze.noblogs, programme en milieu de semaine)
1Voir Guillaume Pitron, La guerre des méteaux rares : La face cachée des transitions énergétiques et numérique, Editions Les liens qui libèrent, 2018.
2 in Rapport et conclusions de la commission d’enquête par Commission d‟enquête désignée par décision du T.A. de TOULOUSE en date du 28/07/2017.
3 Voir Ana Bednik « Extractivisme, exploitation industrielle de la nature : logiques, conséquences, résistances » Editions Le passager clandestin, 2016.
4 Pour les lecteurs qui n’aurait pas eu la chance de lire un rapport d’enquête d’utilité publique lire celui-ci (opcit.) Il est parsemé de perles comme celle-ci : « La DREAL confirme que le SF6 ne présente aucun danger pour la santé humaine hormis le risque d’asphyxie en cas de présence de ce gaz en milieu confiné. La DREAL observe que le dossier de RTE présente une contradiction : il est affirmé qu’il n’y a pas de risque de fuite de ce gaz dans l’atmosphère (gaz à effet de serre ayant un impact 22 000 fois supérieur au CO2 à volume égal) alors qu’il est dit, par ailleurs, que RTE conduit une politique visant à réduire les fuites de ce gaz. » p.32.