…Quelques idées à la volée
La crise déstabilise les flux capitalistes, c’est un fait. L’aviation n’a jamais été aussi mal au point, une explosion d’un stock de nitrate d’ammonium détruit le port de Beyrouth. RTE, pour sa part, s’inquiète de la capacité de production électronucléaire, suite aux retards qu’EDF a pris dans la maintenance des centrales nucléaires pendant le confinement, et en appelle aux écogestes pour éviter les coupures d’électricité cet hiver.
Pourtant, partout, et à toutes les échelles, les transports destinés à l’extraction des matières premières, à la construction des infrastructures et des centrales de production, à la maintenance de celles existantes et à la gestion des déchets produits par l’ordre électrique, continuent leur sombre circuit.
Ce lundi aura lieu le premier transport du combustible nucléaire pour l’EPR de Flamanville toujours défaillant malgré des années de retard, des surcoûts faramineux et une ligne THT construite spécialement pour l’occasion au cœur du bocage normand. EDF s’obstine ainsi à faire des coups de communication pour soigner son image, alors même que l’entreprise est plongée dans une crise financière, technologique et humaine sans précédent. Depuis le début de la crise sanitaire, tous les voyants s’allument pour l’électricien et ses centrales nucléaires. Celles-ci accumulent les incidents, tels que des interruptions pour manque d’eau pendant la sécheresse, ou des soucis industriels dus au vieillissement des équipements et au recours accru à la sous-traitance et à ses travailleuses et travailleurs sous pression. Les protocoles sanitaires et l’absence des ingénieur.e.s confiné.e.s au télétravail exposent cette main d’oeuvre à des conditions toujours plus dangereuses. Aux niveaux économique et administratif, EDF est contrainte de préparer de nouvelles restructurations et capitalisations, acculée par l’Union Européenne qui s’inquiète autant de ses gigantesques dettes que de la situation de monopole d’une entreprise qui fut un jour un service public. Service public aujourd’hui coté en bourse, dépendant des prêts sans limites de durée qu’elle souscrit un peu partout pour irriguer ses activités avec des liquidités pour les énormes coûts de production dont elle est friande.
Le trafic des déchets radioactifs n’est pas en berne lui non plus. À Bure, l’ANDRA continue les travaux préliminaires à la construction du site d’enfouissement CIGEO, plus grand projet industriel en Europe qui devrait être déclaré d’utilité publique l’an prochain. Dores et déjà se préparent les lignes de train ainsi que les infrastructures nécessaires aux travaux et au transport futur des combustibles usés. Toute cette filière dite aval de la gestion des déchets radioactifs est désormais dépendante de la construction d’une piscine d’entreposage supplémentaire. Les piscines de l’usine de retraitement de La Hague seront bientôt saturées et l’occlusion intestinale de l’ensemble de la production électronucléaire est désormais une réelle possibilité. S’ils veulent continuer à produire de l’électricité nucléaire, les industriels et leurs ingénieur⋅e⋅s vont devoir rapidement faire face à cette menace et trouver une solution logistique au besoin latent d’équipement pour refroidir les combustibles pendant des années une fois sortis des réacteurs. Ailleurs, partout en France, les matières radioactives continuent de circuler quotidiennement, et tout particulièrement sur le périple sinueux de la petite route départementale qui sépare La Hague du réseau ferroviaire national, via la gare de Valognes.
La transition énergétique et ses énergies renouvelables industrielles, toujours prise dans le délire de puissance des politiques de l’énergie, n’en finit pas quant à elle d’exploiter, sous couvert de greenwashing, tout ce qui peut encore l’être sur nos territoires déjà surchargés d’infrastructures gourmandes en espace, en énergie et en matières premières venues de l’autre bout de la planète. Ces infrastructures s’accumulent depuis des décennies dans une obsolescence programmée dont ne peut plus que constater l’impasse. Pourtant, alors qu’il s’agirait de rêver une déconnexion des réseaux centralisés pour les remplacer par des pratiques d’autonomie énergétique locales, un énorme convoi nécessitant un véhicule de 75m de long conçu spécialement pour l’occasion se prépare à transporter la pièce principale du méga transformateur RTE de Saint Victor,dans l’Aveyron. Depuis l’expulsion de la ZAD de l’Amassada il y a un an, l’opérateur national prépare le chantier pour renforcer la ligne THT de 400 000 volts. Le paysage déjà défiguré par le pullulement d’éoliennes sera encore sacrifié sur l’autel des illusions renouvelables.
À l’international, les Allemands se préparent à accueillir début novembre un convoi de six wagons CASTOR, remplis de déchets nucléaires, entre Sellafield en Angleterre et Biblis. Ce convoi, déjà reporté par le confinement en début d’année, doit être escorté par un énorme dispositif de près de 6000 policiers pour empêcher la mobilisation qui se prépare pour bloquer le passage. Cette situation inquiète les autorités de Basse Saxe qui viennent de demander au gouvernement allemand de reporter à nouveau le transport pour des raisons sanitaires, par peur de propagation du virus.
Cette situation nous révèle à quel point il ne dépend que de nous de dissuader tous ses transports et bloquer les flux qui continuent
d’alimenter la méga-machine qui nous aliène. Cette semaine, à la Grange Montabot, une cinquantaine de personnes se sont réunies chaque jour malgré un dispositif sécuritaire fortement contraignant. Nous construisions l’autonomie énergetique du lieu collectif : une éolienne a été érigée, des panneaux solaires installés, et le tout cablé sur le nouveau circuit électrique. Dans un pied de nez aux EDFs et à leurs monopoles radicaux, ce lieu historique de la lutte contre les réseaux énergétiques est désormais alimenté par le vent et le soleil, sans passer par les infrastructures électriques. Dans l’effervescence du chantier, nous appelons à lancer un front commun contres les flux mortifères et leur monde polluant auquel il est temps de dire stop.
Des participant.e.s au chantier énergie de la Grange de Montabot