En ce premier jour de l’hiver, nous sommes une centaine ici réunis pour édifier ce bâtiment, quintessence des savoir-faire cabaniers aveyronnais, qui clouant, qui sciant, qui charpentant, qui cuisinant. Ici, ce pourrait être au milieu d’un méga-transformateur, ce pourrait être au-dessus de sources taries, ce pourrait être les pieds sur le béton, avec trônant sur chaque crête alentour des éoliennes géantes. Voilà le type d’avenir qu’ils envisagent pour l’Aveyron et pour Saint-Victor : une immense zone industrielle de l’électricité, une toile d’araignée de lignes à haute et très haute Tension. Ils n’en démordent pas, malgré les protestations qui s’élèvent depuis quatre ans. Ils sont même sûrs de leur réussite, puisque l’enquête publique – cette mascarade – n’a même pas commencé que les mairies reçoivent déjà les plans d’acheminement des convois exceptionnels transportant le transfo. « Il faudra bien qu’ils comprennent », pensent-ils, c’est inéluctable, la consommation et la production électriques vont augmenter, « c’est le progrès en marche », celui-là même qui piétine les récoltes pour sonder les sols et divise les villages pour sonder les âmes. Et quand des habitants excédés réaffirment au responsable du projet que personne ici n’en veut, celui-ci finit par conclure cyniquement : « moi j’avance ! »
Il nous voudrait têtes baissées et mains liées, mais aujourd’hui l’air que nos mains se mettent à jouer ensemble n’est pas du tout celui prévu par Monsieur Perrin. C’est l’air des projets qu’on enterre et des aménageurs qui vont se faire voir ailleurs. Nous aussi on avance. Car ici, ne s’étale déjà plus un terrain à bétonner, mais des champs, et bientôt une cabane, un verger, un potager…
Cette journée de construction met face à face deux réalités incompatibles : d’un côté une terre habitée où s’épanouit une vie riche, humainement et écologiquement ; de l’autre une terre stérilisée par leur business qui parachute çà et là un pylône, une éolienne ou un transfo, et où les autochtones ont tout juste le droit de mesurer les champs magnétiques et d’admirer les crêtes qui clignotent. Ils ont des projets pour faire du fric sur ce territoire, nous avons des envies communes pour y vivre ensemble, ils ont la loi pour les imposer, nous avons notre détermination, la justesse de notre cause et la force d’être ensemble pour leur résister. La zone à défendre ce n’est pas juste Saint-Victor, c’est tout l’Aveyron !
L’amassada, comme premier chantier, comme première incarnation physique du mouvement de lutte contre le transformateur et les aérogénérateurs, n’est pas une manifestation symbolique. Elle constitue un rempart puissant, un obstacle de bois, de tôles, de chair et de rêves face à l’avancée de leur désert. Elle nous donne un toit pour nous assembler, pour nous organiser et pour avancer ensemble. Un abri pour les palabres, les repas, les stratégies et les chants. Un espace pour esquisser une vie bien différente de celle promise par RTE. Elle est notre affirmation commune : le transformateur ne se fera pas !
L’amassada est solidement ancrée dans cette terre et cette culture, mais ses fenêtres sont grandes ouvertes sur le monde. Elle est fille de la bergerie de la Blaquière sur le Larzac et sœur du potager collectif du Sabot de Notre-Dame-des-Landes ; elle est la complice des « presidio » italiens du Val Susa, ces cabanes construites par les opposants à la ligne TGV Lyon-Turin pour défendre leurs terres convoitées par la mafia des aménageurs. Nous avons avec nous ces habitants des territoires qui un peu partout résistent, nous avons avec nous les tracteurs, les tritons et les oiseaux, les dizaines de milliers d’opposants aux projets nuisibles. L’amassada se construit au sein d’un mouvement historique de protestation, capable de s’arroger des victoires et de redonner l’espérance. Ce sera un lieu de combat et de liberté, un lieu qui sera celui de tous, sans clés ni serrures. Il nous appartient maintenant d’imaginer ensemble comment et de quoi le peupler, quelle chaleur y installer pour que la marque de notre détermination y demeure indélébile, pour qu’il abrite, dans quelques années, les souvenirs de nos victoires !
Contre la Zone Industrielle de l’électricité : Amassada partout !